LODGE ALMOGHREB ALAKSA - FRANC-MAÇONNERIE

Garzon, Mozi (Moshé)

Numéro d'objet: 34574
Catégorie: Vie communautaire
Technique: Encre
Origine: Tanger
Date: 1886
Support: Papier

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A Tanger, réside la doyenne des loges francophones dont l'allumage des feux ne fait qu'accompagner le mouvement en cours dans le Nord du Maroc, sous l'égide de l'obédience espagnole.

Dès 1867, Haïm Benchimol - drogman de la Légation de France, directeur de l'influent journal Réveil du Maroc, directeur de la banque Transat, membre fondateur de l'Alliance Israélite Universelle et de l'Alliance Française au Maroc, correspondant des Compagnies Maritimes et de l'agence Havas - devient président fondateur de la loge maçonnique de Tanger, fondée par les juifs marocains "protégés" ou naturalisés Français. La loge connaît des fluctuations sensibles au gré des circonstances ; tantôt liée aux intérêts français, elle reçoit l'élection de Crémieux comme un triomphe, tantôt elle est réputée plus proche de l'Angleterre. Quoiqu'il en soit, elle connaît un grand succès dans les milieux israélites tangérois. Elle agit comme un puissant facteur d'européanisation avec les autres loges, espagnoles, qui vont se multiplier. En 1876, elle est composée de 73 FF\ dont le premier initié Marocain, Mohamed Doukali. Si l'opinion publique et le consulat attribuent cette loge éphémère au GODF, en fait "L'Union 194" dépend de la GLDF.
C'est en 1891 que "La Nouvelle Volubilis" loge du GODF apparaît, à une époque où la main mise sur le Maroc se renforce. Les loges, d'une façon générale, participent à cette pression grâce à leurs relations avec la presse en Europe. A Féraud, le consul Français en place qui défend la loyauté envers le Maghzen - c'est à dire le gouvernement marocain - les loges préfèrent la ligne du "parti colonial". Groupe de pression dont le porte-parole est le F:. Etienne député d'Oran ; sans oublier J. Siegfried au Sénat, le Comité de l'Afrique Française du Prince d'Arenberg et l'Union Coloniale Française qui se définit elle-même comme un "syndicat des principales maisons françaises ayant des intérêts aux colonies". D'ailleurs, pour cette politique au Maroc, les ressources financières ne manquent pas, "le Printemps" de Jaluzot et la Cie Transat y pourvoyant largement.
C'est dans ce contexte, très représentatif de la République opportuniste, qu'est née "La Nouvelle Volubilis", en souvenir de Volubilis, ville romaine construite entre Fez et Meknès. Nom pour le moins évocateur d'un retour impérial, économique et culturel, dont "La Nouvelle Tamusiga", quelques années plus tard à Mogador, sera comme un écho.

Fait notable de cet intérêt porté à la Maçonnerie comme moyen d'ouverture vers l'Europe, en janvier 1892 sous le règne de Hassan I° une "ambassade maçonnique marocaine" se rend en Espagne pour "demander d'initier le sultan et cinq mille personnalités marocaines". Cette ambassade, en effet, s'inscrit dans une démarche globale qui fait qu'entre 1874 et 1888, ce sultan envoya huit missions marocaines d'études totalisant environ 350 personnes, dans les différents pays d ' Europe et en Égypte.
Un cas intéressant : le F:. Zerbib Élie Théodore

Né à Constantine, en 1843, fils d'un grand rabbin d'Algérie, Zerbib s'installe à Alger comme libraire. Il est initié à Bélisaire et y reçoit la maîtrise en 1874. Sa présence, avec celle de cinq autres israélites, témoigne de l'intérêt que porte le GODF à cette communauté. Certains FF\ se rappelaient sans doute le rôle qu'avaient joué les juifs depuis l'établissement des Français et d'autres allaient même jusqu'à penser que c'est par eux que l'on arriverait aux musulmans ! C'est ce qu'avance avec insistance le F:. Crémieux : "Employez les juifs pour amener à vous les Arabes...". Crémieux qui obtiendra, avec l'appui de nombreux maçons, la naturalisation massive des juifs avec l'espoir donc qu'à longue échéance les Arabes suivraient.
Zerbib arrive à Mogador, en août 1875, où après une opposition forte à la Légation de France il devient aide politique du consul. C'est ce qui l'amène, le 28 janvier 1884, à recevoir Charles de Foucauld qui restera quarante cinq jours durant à Mogador profitant de l'hospitalité de la communauté israélite avant de se lancer à la découverte du sud marocain interdit aux "roumis". Voyage d'importance en matière de pénétration française au Maroc, à laquelle de nombreux juifs sont favorables.
En 1886, marié à une Anglaise après la mort de sa première épouse Française et converti au protestantisme, Zerbib remplace le pasteur Guisbourg à la tête de la section marocaine de la "London Society promoting christianity amongst the jews". Le choc, grand pour la communauté juive de Mogador, est loin d'être anodin pour la Légation de France. En effet il est alors communément admis que celui qui porte la croix, en missionnaire, sur les terres lointaines y porte en même temps, explicitement ou non, le drapeau de son pays.

Vers 1915, Zerbib devient doyen de la colonie européenne de Mogador : homme rebondi et joyeux, son hospitalité est légendaire. En 1916, logique avec lui-même, il se retrouve fondateur de la "Société de Géographie du Maroc". Or, il est patent que ces Sociétés de Géographie, placées au centre d'un réseau de plus en plus large, jouent le rôle de groupe de pression avec leurs ramifications à travers la France et l'Empire. Ces sociétés en outre disposent d'une presse qu'on peut qualifier de spécialisée et leur influence s'exerce de façon très sensible sur des publications d'une incontestable autorité comme La Revue des Deux Mondes. Au demeurant, pas plus les géographes que les découvreurs ne prétendent poursuivre leurs entreprises au nom des seuls impératifs d'une science désintéressée : les progrès de la connaissance de la terre doivent assurer à la France plus de rayonnement. Enfin, en 1920, Zerbib participe à la fondation de la R.L. "Woodrow Wilson n°479" de la GLDF à Mogador. Cette loge, au rite écossais, draine aussitôt les éléments israélites en plus grand nombre que "La Nouvelle Tamusiga". Le même constat peut se faire un peu partout à travers le Maroc, l'argument du rite écossais - REAA - étant souvent avancé.

Au soir de sa vie, Zerbib une fois de plus s'avère être révélateur d'un problème de fond. En effet, il est certain que la laïcité militante du GODF a gêné nombre d'israélites plus à l'aise à la GLDF de ce point de vue. En se dépouillant de son caractère spiritualiste et en se mettant sous la seule égide de la Raison, le GODF s'est condamné à recruter uniquement parmi les agnostiques et les athées, très peu nombreux dans les communautés musulmanes et juives. Contradiction douloureuse pour de nombreux FF:. des loges GODF du Maroc qui aspirent justement à toucher en profondeur ces communautés.

En octobre 1920, disparaît ce personnage du "vieux Maroc" ayant, sa vie durant, symbolisé à la fois la promotion du juif algérien à la suite du décret Crémieux d'octobre 1870, l'intérêt porté par la colonie algérienne à la pénétration française au Maroc, le rôle joué par des FF:. dans cette aventure, les méthodes de pénétration coloniale sous le biais de missions géographiques ou religieuses, l'importance de la communauté israélite dans l'ouverture du Maroc, enfin les rapports GODF-GLDF et leurs orientations respectives au Maroc.

Signés par A. Pimienta (S.W.)
M. Serouya (J.W.)
Yoshua Benchimol (Secrétaire adjoint)
18 juin 1886

Bibliographie:

Dossier dans la revue Qantara
Avril 2016
Georges Odo : Les Francs-Maçons au Maroc sous la IIIè république