CEINTURE DE FEMME

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Numéro d'objet: 22782
Catégorie: Costume
Technique: Tissu brodé fil d'or
Origine: Mogador / Essaouira
Date: 1900
Support: Textile

Historique:

La représentation des costumes juifs offre certaines difficultés. En effet, la société juive des grandes villes du Maroc est actuellement en pleine évolution. De nombreux Juifs "modernes" ayant abandonné toutes traditions sont vêtus complètement à l'européenne. D'autres, surtout parmi les générations anciennes vivant dans le mellah, sont restés fidèles aux vieilles traditions et aux costumes qui étaient en usage avant l'occupation française.
Entre 1934 et 1936, l'ethnographe pouvait encore retrouver au Maroc les traces vivantes d'un folklore abondant et saisir les particularismes propres à chacune des ethnies marocaines: berbère, arabe, juive. C'est ainsi que les documents ethnographiques suivants constituent un témoignage objectif, illustration d'un moment de l'histoire du judaïsme marocain.
Sans entrer dans le détail de l'histoire des populations juives a l'ouest du Maghreb, on constate l'existence de deux groupes bien distincts: d'une part, les Juifs de souche ancienne issus des émigrants qui avaient essaimé autrefois jusqu'à la rive atlantique, d'autre part, les Juifs descendant de ceux qui avaient été chassés d'Espagne par la reconquista à la fin du XVe s. et avaient trouvé asile au Maroc auprès des Musulmans, à l'époque plus tolérants que les Chrétiens.
Les Juifs de souche ancienne et les Berbères autochtones étaient les héritiers des antiques civilisations méditerranéennes et ceux que l'on trouvait dans le Haut-Atlas et son versant saharien, régions difficilement accessibles, semblaient avoir été tout naturellement protégés des influences extérieures, même à l'époque de l'invasion arabe. Ici, les Juifs étaient étroitement mêlés à la vie des tribus berbères et la femme juive s'habillait comme sa voisine non juive.
Elle ne portait pas de vêtements cousus, elle se drapait dans une longue pièce d'étoffe, I'izar - cotonnade ou laine fine retenue sur le devant des épaules par deux fibules, plus ou moins serrée à la taille par une ceinture. Une robe-chemise pouvait faire usage de vêtement de dessous. Le serwal, ample pantalon, était rarement porté. On voit souvent dans l'izar une survivance du peplos antique. Cela parait vraisemblable, mais il convient de noter que l'on rencontre en certains points du Haut-Atlas et des vallées pré-sahariennes, comme dans l'Anti-Atlas, des drapés de cotonnade ou de laine analogues ou différents. Ces contrées n'ayant jamais connu la domination romaine, il semble donc que leurs populations ne lui devaient pas leurs traditions vestimentaires et que celles-ci provenaient d'un héritage commun à l'Orient méditerranéen.
Alors que l'izar dont nous trouverons la description détaillée est drapé de la même manière sur la femme juive et sur la femme berbère, la coiffure est toujours spécifiquement juive et donne son caractère à la silhouette.
La religion interdit à la femme Juive de laisser voir ses cheveux des le jour de son mariage, mais l'usage de la perruque est toléré à condition de ne pas contenir de cheveux humains. De là toutes ces trouvailles ingénieuses que l'on rencontre dans les villes comme dans les campagnes, où l'on a recours à la laine, à la soie, au poil de chèvre, aux queues de bovidés, aux plumes d'autruche, le tout surmonté de foulards, de diadèmes, d'ornements d'argent, pour créer des coiffures parfois gracieuses, parfois étonnamment burlesques.
C'est dans les mellahs des villes que se rencontrent les traditions propres aux Juifs chassés d'Espagne aux XVe et XVle s. Ces Juifs appelés forasteros pour les différencier de ceux qui étaient de souche marocaine ancienne apportaient avec eux leur culture, leurs coutumes et leurs costumes.

C'est ainsi que fut porté sans altération jusqu'au XXe. la tenue d'apparat de la femme mariée, keswa l-kbira, magnifique ensemble de velours, de soie et d' or, évoquant les fastes de l'opulente Espagne de la Renaissance. Certaines pièces devaient conserver les noms d'origine espagnole, telle la vaste jupe enveloppante ou zeltita (qui fait toujours partie du costume de fête dans certains endroits de la Castille) et le corselet gombaz. Les manches de mousseline repliées sur les épaules, la perruque de cheveux de soie noire recouverte de la tiare de perles fines, la longue écharpe de soie lamée d'or, conféraient à l’ensemble une grande richesse.
Pour sortir, la femme juive citadine s'enveloppait dans son châle de soie, qui était dans les grandes familles une pièce de très grand prix, panwelo de manila, toujours blanc, brodé ton sur ton. Il était de même de bon goût, encore au début de ce siècle, pour une femme de qualité, de s'en voiler le visage au dehors, selon la coutume des femmes arabes. Les femmes juives des villes du Sud ne laissaient visible qu'un seul œil, comme les femmes arabes.
Le vêtement quotidien des vieilles femmes conservatrices était la camisole, bata, la longue jupe froncée, souvent à volant, saya et le châle de laine épais, panwelo. Les jeunes filles s'habillaient le plus souvent de robes de confection européenne, choisies dans les couleurs vives, et se coiffaient d'un foulard de soie, sebniyya romiyya, adoptée aujourd'hui par toutes les Musulmanes citadines.
Le costume masculin n'offrait guère de variantes mais marquait une différence entre les Juifs de souche ancienne et les forasteros. Les premiers étaient à l'origine vêtus, tout comme les Berbères, du hayk de laine ou de la grande chemise, derra, ils portaient même le beau burnous akhnif, à demi-lune orangée, dans tout le pays Ouaouzguit et jusqu'au fond de la vallée du Dra. Vint en suite la zellaba ou le burnous selham. Lors des persécutions des années sombres, ils furent contraints de porter la zellaba noire. Le foulard et même les sandales devaient également être noirs.
Une mode généralisée chez les ruraux, surtout chez les vieillards, leur avait fait adopter un foulard décoré de pois blancs. Anciennement, c'était plutôt un mouchoir qui couvrait la chachiyya, le bonnet, et se nouait sous le cou.


Les Juifs avaient obtenu à Marrakech et à Meknès la permission de porter ce mouchoir pour protéger les oreilles, mais en réalité, c'était pour se soustraire aux taquineries des enfants qui se faisaient un jeu de leur enlever leur bonnet. Comme partout dans la Diaspora, les Juifs ont fait, avec le temps, de ces signes de servitude des marques traditionnelles auxquelles ils tenaient et dont même ils tiraient orgueil.
Les forasteros citadins, bien que soumis plus encore aux servitudes, se vêtaient avec une réelle distinction. Dans la vie courante, ils portaient des vêtements qui s'apparentaient au costume des Arabes citadins. Les bourgeois aisés portaient la longue blouse, zokha, mais de couleur toujours foncée, avec le gilet et le survêtement porté sur la ceinture de soie, bordés de larges soutaches ton sur ton, d'un raffinement très caractérisé.
Autrefois obligés d'être en noir, les hommes jeunes, avec l'émancipation, ne se gênaient plus pour porter les couleurs de leur choix, le plus souvent dans des tons subtils de marron ou de prune.
La zellaba, large robe-manteau à capuchon, sorte de vêtement national de dessus au Maroc, est portée aussi par les Juifs citadins. Autrefois elle était obligatoirement noire, largement ouverte sur la poitrine, laissant voir le gilet orné de soutaches. Elle fut introduite relativement récemment chez les Juifs des agglomérations rurales où elle est portée surtout par les artisans.
Mais l'évolution était telle que l'on préférait déjà un complet européen bien coupé aux vêtements traditionnels. Ceux-ci rejoignaient dans les coffres de famille les pièces rares d'un folklore ancestral souvent très riche mais désormais considéré comme désuet par ceux-là même qui en étaient demeurés si longtemps les gardiens attentifs.
Jean Besancenot

Bibliographie:

Alaoui p. 131